QUESTION D’IDENTITE
par Laurent Danchin
L’Art Contemporain n’est pas facilement déchiffrable. Or Alain Valtat est un artiste contemporain. Donc l’art de Valtat a priori n’est pas clair. Essayons pourtant d’y voir de plus près !
Nature des oeuvres : apparemment des sculptures, c’est-à-dire des objets non utilitaires à trois dimensions, de diverses grandeurs, en général posés sur un socle, et destinés à meubler un espace, plus ou moins conséquent, privé ou public. Malgré la couleur trompeuse qui les égaye, ces objets sont très lourds, comme peut facilement s’en rendre compte n’importe quel manutentionnaire, et ils tendent nettement au monumental, même dans leur variante design (Alain Valtat peut aussi créer, en pièces uniques, de magnifiques ensembles de bureaux).
Style : manifestement abstrait, c’est-à-dire, sans jouer sur les mots, pur équilibre de lignes, de formes, de volumes, le tout habillé de couleurs modernes et vives, sans souci de représentation ni de signification clairement définies (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas une intention de l’auteur, en général révélée par un titre, ni une lecture symbolique de son oeuvre : Valtat affectionne entre tous le mythe de Prométhée, Titan voleur du feu et fondateur de l’industrie humaine).
Technique : ni taille directe, ni modelage, ni moulage, mais un procédé aujourd’hui plus répandu, qui est même une des marques distinctives de notre époque, l’assemblage (version 3 D du collage). Au sens propre, Valtat n’est pas un sculpteur, mais un assembleur, c’est à dire qu’il réunit, compose, organise en un tout divers éléments soigneusement choisis au départ (lui préfère parler de » construction « , et il se définirait volontiers comme appartenant à quelque école » néo-constructiviste « , en souvenir de cette Russie mythique du début du siècle dont son inconscient conserve sans doute bien des stigmates. Homme pour qui la vie est un combat, un défi, il a été d’abord éditeur et grand reporter et il assimile l’art à l’action). D’autres utilisent la colle, Valtat préfère la soudure et le boulon, une technique très professionnelle qui ne permet aucune tricherie. C’est un expert en centres de gravité hautement improbables.
Matériaux utilisés : exclusivement le fer, mais dans une savante opposition entre les drapés, presque sensuels, de la tôle froissée, et la rigidité géométrique des IPN (I Profil Normalisé des poutrelles de construction), que Valtat s’amuse parfois à déchirer ou tordre à 800 tonnes de pression. Est-ce par réaction contre l’immatérialité croissante de l’univers des bureaux, le triomphe des matières plastiques, ou pour prévenir les vertiges de la » réalité virtuelle » tant annoncées qu’il aime le contact de ce matériau dur, présent, solide presque anachronique aujourd’hui, et qui évoque à lu seul toute la mythologie ouvrière des débuts de l’industrie ?
César s’est fait un nom en compressant des machines, Valtat, lui, préfère élire les métaux déjà usés par la vie, et c’est dans les immenses décharges des ferrailleurs et autres marchands de matériaux, au milieu des ruines d’un passé industriel bientôt aboli, qu’il va naturellement faire ses courses. Il y a chez Alain Valtat, dans son atelier où la scie électrique voisine avec l’arc à souder sur des établis métalliques, quelque chose de l’ouvrier d’usine, de l’ingénieur ou du chimiste, qui se battrait avec un matériau brusquement devenu obsolète pour lui redonner une seconde vie. Pour peu qu’on la rhabille de couleurs vives, privilégiant le visuel au détriment des poids et volumes, il est presque rassurant d’évoquer aujourd’hui la dureté des temps antérieurs.
Assemblage, recyclage, couleur, voilà pour la modernité de Valtat, sculpteur « postindustriel » dont les oeuvres, allégées par l’éclat des bleus, des rouges, des jaunes, sont lourdes d’une culture ouvrière dont il semble avoir la nostalgie. Militant utopiste, passionné de philosophie, Valtat est un matérialiste convaincu qui va jusqu’au bout de la spiritualité de la matière. C’est un rêveur très organisé, orphelin de toute idéologie, cherchant passionnément à sortir de son isolement d’artiste, à dépasser sa dissidence, pour inscrire l’art dans la vie, mettre son travail au service d’un projet plus vaste, d’une idée qui le dépasse.
Trois obsessions gouvernent son existence : joindre (relier, mettre ensemble), trouver de nouveaux équilibres et imprimer un élan au social et à la matière.
25 route de Saint Lumine – 44190 Clisson – France
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