L’HOMME DE FER
Portrait par Carole Sadoun
Les sculptures d’Alain Valtat ressemblent étonnamment à l’homme. Robustes et de proportions parfaites, élégantes et simples.
Ces pièces assemblées de main de maître sont autant de déclarations d’amour, mais aussi de révoltes dédiées à ses semblables.
A seize ans, Alain Valtat quitte l’école. Il n’a alors qu’une idée en tête devenir grand reporter. Ses rencontres avec des grands noms de la photo lui confirment sa volonté d’aller saisir sur le terrain la dure réalité des pays en crise. Il croise le chemin de Raymond Depardon chez Dalmas, à l’époque une des agences de presse les plus renommées sur le plan international. Autre rencontre et non des moindres Robert Doisneau, un ami de son père. Il suit ce photographe légendaire pendant près d’un an. « Il m’a appris à regarder au lieu de voir ».
Assistant photographe à l’AFP, Alain Valtat apprend toutes les facettes de ce métier qui le fait rêver. Le laboratoire et la prise de vue n’ont bientôt plus de secret pour lui. Très vite, Valtat est en mesure de partir à son tour dans les zones sensibles de la planète. Le mythe du photographe reporter, il va le vivre jusqu’à l’écoeurement, il multiplie les allers-retours vers Beyrouth, suit les membres du Fatah, et rencontre Yasser Arafat. Couvre les conflits qui sévissent en Afrique. Entre à Prague quelques heures après les chars soviétiques. Nous sommes en 1968. C’est l’époque où il travaille aussi pour le magazine Réalité, aux côtés d’Édouard Boubat, Jean-Philippe Charbonnier et Michel Desjardins. 1969, c’est l’année qui le fait déchanter. Dans la capitale tchécoslovaque, pris en flagrant délit de photographie politiquement incorrecte, Valtat est arrêté par le KGB. S’il reconnaît n’avoir été victime d’aucune violence physique, la police secrète lui fait néanmoins subir de lourdes pressions psychologiques. Du troisième sous-sol de la prison évoqué par Arthur London dans L’aveu, Valtat tente de survivre par une température bien inférieure à 0C. Il y moisira des semaines durant. Réveil toutes les quatre heures, faire le lit, défaire le lit, refaire le lit… Des interrogatoires sans fin jusqu’à épuisement rythment les journées d’isolement du photographe, coupable d’avoir voulu témoigner d’une vérité « dérangeante ». Libéré grâce à l’intervention du Gouvernement français, Valtat est le premier otage politique parmi les journalistes. « Toute forme de totalitarisme est de l’ordre du non-entendement ». Du sentiment éprouvé par cette incarcération, Valtat n’en dira pas plus. Comme si la pudeur l’empêchait d’évoquer davantage ses semaines passées au trou. Lui qui, après cela, va assister au comble de l’horreur. Valtat écrit aussi dans Combat, le journal de Camus. Une fierté légitime qu’il affiche non sans une certaine humilité. Et rejoint Le Quotidien de Paris. Pour ce dernier et d’autres titres, il part pour Chypre couvrir le conflit gréco-turc.
» La sculpture est la synthèse de tout ce que j’ai vu, appris et approché.. «
Dernier départ pour le reporter qui découvre l’insoutenable le charnier d’un village turc. Ce paroxysme de l’horreur générée par la nature humaine conduit Valtat à prendre la décision irrévocable de rompre avec la photographie.
Un changement de vie s’impose alors il se lance dans l’édition puis monte un atelier de gravure et de sérigraphie. Autodidacte à part entière, d’un métier à l’autre, Valtat s’efforce d’acquérir la technique dans sa plus grande finesse. Question de tempérament mais aussi d’exigence avec lui-même. Début 1980, Valtat se cherche en matière d’art. Une recherche progressive et logique d’abord la peinture, puis la peinture superposée à de la sculpture et enfin la sculpture. Il aurait pu choisir le marbre, le bois ou encore la pierre. Pour Valtat, le fer, matériau a priori hostile, lourd et difficile, est un métal noble. « Le fer correspond à notre société de construction. Sans lui, il n’y aurait pas eu de révolution industrielle ». Poutrelles et autres masses brutes parviennent à courber l’échine sous le chalumeau de l’homme. Valtat nous prouve que d’une matière peu attirante, le beau et l’élégant peuvent surgir. Seule l’imagination féconde et le génie de l’artiste parviennent à métamorphoser le plus anodin des métaux. Drapés sensuels, assemblages de structures linéaires et courbées de formes abstraites et de dimensions diverses, Valtat ose la diversité des concepts. Son art se rattache à tout un courant de sculpture de l’école anglaise né au début des années soixante, auquel appartiennent des sculpteurs comme David Smith, Anthony Caro, John Chamberlain, Robert Morris, Herbert Ferber ou encore Mark di Suvero, pour ne citer que les plus connus. « La sculpture est la synthèse de tout ce que j’ai vu, appris et approché. Il y a nécessairement une continuité entre ma période de reporter et celle de sculpteur ». Reflet de son expérience de vie, l’oeuvre de Valtat est basée sur la contradiction intrinsèque de la nature de l’homme. À ce que celui-ci a de meilleur comme de pire.
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